
Dixième jour : Niamey-Boureüni J'ouvre mes rideaux. J'aperçois le Niger qui coule presque sous mes fenêtres. On nous accueille au musée de Niamey, normalement fermé le lundi. - C'est vous le conservateur? - Oui. - C'est vrai? - Mais oui, c'est vrai. Un homme comme moi, qui a une barbe blanche, ne ment pas. J'explique qu'en France, c'est vrai ne signifie pas c'est vrai, mais ah bon. L'arbre du Ténéré, vestige d'un Sahara fertile longtemps vert, seul, au milieu des sables à cause d'un puits proche, est mort. On l'a transporté jusqu'ici. On lui a construit un mausolée. Qu'est-ce qu'un musée en Afrique? Il y a un pavillon consacré aux costumes, un autre aux habitations, un autre à l'uranium. Je pars visiter le marché avec l'Antillaise. Nous marchons entre des amoncellements de harissa, piments, farine de tomate, éponges Spontex, bois contre la dysenterie, cumin, girofle, lauriers. La fille de RivièrePilote montre une pierre, elle dit : - On appelle ça la pierre : les femmes après la grossesse se la mettent près du vagin, pour resserrer les tissus. Elles restent deux ans sans rapports sexuels. Il y a aussi du karité pour la peau, du savon à partir d'écorces d'arbres, des citrouilles géantes, des cacahuètes, de la farine de manioc, des oignons, des salades, des noix de copra, du gombo qui rend les sauces gluantes. Une femme passe du henné sous les pieds d'une petite fille. Après, elle les enserre dans un sac en plastique, pour que la plante agisse : c'est un maquillage. L'Antillaise dit : - L'Afrique m'a rendue forte. Avant, j'étais fragile, je pleurais pour un oui pour un non. On vend d'énormes morceaux de viande. Des mouches volent par troupeaux. Elle dit : - L'Afrique est si rude! La pharmacienne est blonde, blanche, française. Nous déjeunons à l'Association des femmes du Niger. La présidente est une ex-sage-femme, brillante. Elle dit : - C'est une organisation de masse. Le but est de nouer amitié entre les femmes des différentes couches sociales. Elle a quatre enfants. Elle dit : - 90 % de la population est analphabète. Avant l'indépendance. 96 %. D'où au Niger, le grand nombre de gens qui ne parlent français. La scolarisation n'est pas obligatoire. Elle dit : - Pour quoi faire? Le retour à la terre est encouragé à cause du chômage. On préfère garder un ou deux enfants pour aller aux champs. Ses deux fils sont à Paris. L'un prépare une grande école au lycée Stanislas. L'autre veut être pompier. Son mari, directeur de société, travaille à la route Niamey-Agadès. Je dis : - Est-ce que vous avez déjà voté? - Jamais. Depuis dix ans, c'est un régime de dictature. Les partis politiques ont été dissous. L'association joue un rôle dans l'alphabétisation; elle apprend aux femmes à lutter contre la sécheresse, cultiver leurs jardins. Les arbres sont sacrés. La Congolaise me donne une pièce de monnaie du Congo: ce sont des francs CFA d'Afrique centrale. Une face représente des branches de cacao et un visage de femme, l'autre, des antilopes sauvages à longues cornes. Elle dit : - Tu es déjà venue en Afrique? Je suis maintenant dans sa voiture. Elle a un garçon et une fille, une maison en France où elle va deux fois par an : - C'était bon ce poulet pilé qu'on nous a servi. Tu as vu, le couscous, c'était du couscous de riz. Des enfants s'approchent. Ils disent : - Cadeau, cadeau. La Congolaise dit : - Alors toi aussi, tu me donnes des cadeaux. Souvent des placards balisent les rues, les routes, les trottoirs, exposant des slogans : « La paix que nous voulons pour le Niger, nous la voulons pour le reste du monde. » La Congolaise est femme d'affaires; elle a cent cinquante personnes sous ses ordres. Je dis : - Est-ce que tu es féministe? - Oui; peut-être pas physiquement. - Non, pas féminine, féministe? - Oui; je suis contente quand une femme réussit. - Est-ce que tu te considères comme une exception au Congo? Dans sa branche, elle est seule. - C'est quoi, ta branche? - Je vends des loisirs et du sommeil. Elle vient en plus de monter une librairie. - Une librairie? Elle dit : Dommage que tu ne sois pas là en arrivant à Brazzaville. J'ai reculé l'inauguration pour que tu y assistes. - Comment t'est venue l'idée ? - D'ouvrir une librairie? Elle lit beaucoup. Elle a fait une étude de marché. Il n'y avait que deux librairies à Brazzaville (500 000 habitants). A 6 heures, nous nous arrêtons sur le bord de la route pour dormir. C'est le début du désert. Dans une demi-heure, il va faire nuit. On installe les bâches. |